L´effondrement de l´Union Soviétique en
1991 marque un nouvel horizon. La conjoncture internationale donne l´occasion
aux États-Unis d´imposer au monde un projet d´ordre international fondé sur les
valeurs essentielles et indissociables de la démocratie libérale et du
capitalisme, comme le seul capable d´apporter la paix, la sécurité et la prospérité. Cependant, dans la dernière décennie, plusieurs tendances démontrent
une nouvelle position des États Unis dans un monde où d´autres puissances ont
émergé et où les forces sont plus partagées. On témoigne ainsi de la naissance des
nouvelles menaces et des nouvelles perceptions des risques qui exigent un
renouvellement des approches en termes de sécurité internationale.
En 1991 G. Bush avait proposé de fonder un «nouvel ordre mondial»
appuyé sur la démocratie libérale, la liberté organisée des échanges, la
concertation des puissances, le droit des peuples à disposer d’eux mêmes et le
caractère inviolable des frontières, tout cela dans un cadre multilatéral qui
privilégiait la concertation et la négociation entre États. Suite à la fin de
la Guerre Froide, on croit que les États-Unis vont mener à bien leur mission de
gendarme du monde et promouvoir le respect des institutions internationales et
du droit. Toutefois cette victoire américaine est vécue comme un échec alors
que les trois piliers du système international échouaient dans la crise de Bosnie.
Désormais ils commencent à penser que vouloir établir un ordre mondial en
s’appuyant sur l’ONU et en tenant compte de règles multilatérales est
impossible. Ainsi, ils chercheront à adopter un autre mode de gestion des
grands problèmes internationaux, une gestion plus unilatérale. De plus, pendant ce temps-là, ils connaissent un essor
économique et une expansion stratégique spectaculaires tandis que les autres
puissances éprouvent des difficultés. Le Japon subit le contrecoup de la crise
asiatique. L’Allemagne est aux prises avec la réunification allemande. L’UE ne
parvient pas à se mettre d’accord. Aucun pays dans le monde n’est donc capable
de remettre en cause sa prééminence, et les
États-Unis font effectivement ainsi figure de puissance colossale
concrétisée par un rôle de « gendarme » de la planète. L´illusion de
la sécurité tenait au fait que la présence des États-Unis était partout diffuse
et presque garante de paix et justice.
Les attentats du 11 septembre 2001 à New
York et Washington D.C. ont été parfois interprétés comme le début de la fin de
cet « impérialisme ». En tout cas, de nombreux acteurs alimentent, depuis
cette date, le débat sur le possible déclin de « l´hyperpuissance »
américaine, et un nouvel ordre du monde qui reconfigurerait la vision d´une
sécurité globale où les stratégies précédentes ne sont plus opérantes. Mais, quels ont été exactement ces signes, et quelles sont
les conséquences de son apparition pour la sécurité internationale ?
D´une part, la position officielle adoptée
par les États-Unis après le 11 septembre a été la « guerre contre la
terreur ». Mais cette politique étrangère si agressive a eu comme réponse
de nouvelles divergences dans la scène internationale. D´abord, l´intervention
américaine en Irak ne reçoit pas l´aval de l´ONU, mais celui non seulement de
la Russie et de la Chine mais aussi des État de l´UE, membres anciens du pacte
atlantique comme la Belgique ou la France refusent aussi. Cela montre que la
politique de G.W. Bush pose des problèmes aux démocraties qui préfèrent une
application du droit international et un rôle prééminent de l´ONU dans les
relations internationales.
La guerre déclarée à la terreur par G. W.
Bush et ces interventions au Moyen Orient ont fortement dégradé l´image de l´Amérique
au plan mondial et, provoqué un renforcement de la puissance islamiste et des
arguments à l´encontre des Américains.
D´autre part, la montée des pays
émergents comme nouvelles puissances économiques suscite de nombreuses inquiétudes
en Occident, notamment aux Américains. Des émergents comme la Chine et l´Inde
jouent en tout cas un rôle de plus en plus important dans les relations
internationales. Leurs atouts: superficie, dynamisme économique, poids démographique,
richesses naturelles ou puissance nucléaire font d´eux deux géants capables de
rivaliser avec les États-Unis. La Chine, membre permanent du Conseil de
Sécurité de l´ONU, connaît un essor exceptionnel (8% de croissance annuelle moyenne
du PIB depuis 1990), atelier du monde (80% du marché mondial des lecteurs de
DVD), et avec la Russie et les États-Unis l´un
des trois seuls pays à être capable d'envoyer des hommes dans l'espace. L'Inde
est l'autre géant asiatique qui, avec son virage libéral, est devenu le premier
investisseur et le premier partenaire commercial des États Unis. Mais elle
multiplie aussi des initiatives diplomatiques pour développer ses relations
avec l´UE et aussi avec la Russie qui soutient New Delhi sur sa candidature à
un siège permanent au Conseil de Sécurité de l’ONU. Elle reste, en tout cas,
assez indépendante et hésite pas à défier Washington (e. i. problème des droits
de propriété intellectuelle dans la fabrication des médicaments). Cette
défiance croissante vis à vis des États-Unis est constatée aussi en Amérique
Latine où la croissance du Brésil suppose de plus en plus de compétences.
« Le monde post-américain » de
Zakaria parle précisément de « l´ascension des autres », même
s´il postule que cette émergence ne signifie pas automatiquement la perte de la
primauté américaine dans les débats internationaux. Les États Unis comptent,
défend-t-il, avec immenses atouts culturels ; des codes, des références et
des méthodes qui ne vont pas être abandonnés comme cela. Dans la préface de
l´édition française, H. Védrine affirme aussi que « les États-Unis disposent encore
d’un immense atout pour se faire accepter: presque partout dans le monde, les
pays préfèrent le leadership global de Washington à l’hégémonie plus proche
d’un géant régional ».
À la forte compétitivité des pays
émergents, s´ajoute l´actuel affaissement du système financier. La fin de
l´année 2007 marque le déclenchement d´une crise financière aux États-Unis qui
ensuite allait frapper fortement une grande partie des pays au monde. Cela n´a
fait que nourrir l´opinion du repli de l´occident.
Toutes ces tendances témoignent d´une recomposition des relations internationales, et pour autant, une
reformulation de la sécurité au niveau international qui fait allusion aux principes de la charte de l'ONU et émane de
l'obligation pour tous les États d'appliquer le droit international.
Les partisans de la puissance
d´influence (soft power), face à une puissance coercitive, ont pris avantage
dans ce débat déjà classique. Zakaria propose de sa part l´usage d´un
« smart power », représenté comme une voie ouverte sur le monde
libérale et optimiste afin d´éviter la descente des États Unis. En quelque
sorte, la diplomatie américaine se voie obligée d´adoucir son discours et de partager
plus son pouvoir pour conserver sa crédibilité et ne pas perdre totalement
son leadership (« The Post-American
World » Fareed Zakaria, 2008).
Les conséquences de ce possible avènement
d´un « monde post-américain » semblent viser à un ordre plus multipolaire. Paul Kennedy
défend cette thèse qui met en évidence les fragilités du leadership américain
dans un monde qui dans les années 80 voit la montée en puissance du Japon et le
décollage de la Chine. A l’époque de la publication de son ouvrage, l'économie
étasunienne connaît des ratés. Le Japon, la Chine et même l’Europe apparaissent
alors comme des puissances potentielles. Aussi l´historien Emmanuel Todd a-t-il
soutenu après que les États-Unis étaient en perte de puissance et que leur
déclin est irréversible. La volonté de contrôle et de puissance que
l’administration Bush a affirmée partout dans le monde, serait une activité de
compensation afin de masquer une perte de puissance qui serait d’abord d’ordre
économique. Aussi l´historien E. Todd se fonde sur l´augmentation du déficit commercial des États-Unis
qui est passé de 100 à 558 milliards de dollars entre 1993 et 2011. Aujourd’hui,
l’Amérique serait devenue dépendante du reste du globe, et elle n’aurait plus
les moyens de le dominer. Cette thèse s´appuie aussi sur l´idée qu´un statu quo
qui ne satisfait pas les aspirations d´une grande majorité n’est pas viable sur
le long terme et est susceptible d’être remis en cause par ceux dont la voix
n’a pas été entendue. Les États ne peuvent plus régler seuls tous les problèmes
à l’heure de la mondialisation.
Effectivement, la complexité
des rapports internationaux et le phénomène de la mondialisation ont fait
émerger de nouvelles façons d´envisager le monde. À côté du multilatéralisme,
on trouve l´intégration régionale qui obéit au schéma classique fondé sur la
proximité géographique, le voisinage immédiat des pays et la coopération
politique à travers la coopération économique. Ce régionalisme se montre aussi
comme une solution pour assurer la paix, au moins dans une partie du monde. La
plupart des continents sont aujourd’hui structurés en alliances régionales interétatiques
(e. i. MERCOSUR). Ces associations ont une dimension purement économique mais,
pour le moment, diminuent le risque de conflits interétatiques. L’UE apporte la
preuve que l’intégration régionale peut être une solution d’avenir pour
instaurer une paix durable.
L’équilibre
ancien du monde de la guerre froide était rassurant en quelque sorte car il rendait
le monde compréhensible : la logique dominante était une logique bien
connue, celle qui voyait s’affronter deux systèmes antagonistes. Aujourd´hui,
les relations internationales sont en train de se recomposer dans un monde beaucoup
plus complexe et difficile à rationaliser.
La compétition pour une nouvelle
redistribution de la puissance peut donner de nombreux scénarios pour la
sécurité internationale en fonction des différentes perceptions des risques et
menaces. Pourtant, l´augmentation de la population, de la consommation, des
besoins en énergie, etc. rendent indispensable des accords win-win et de coopération
entre le pays où on pourrait tous gagner plutôt que perdre.
Le
désir d´un ordre mondial fondé sur une « gouvernance globale » qui
soit gardienne de la sécurité collective a-t-il grandi depuis la fin de la
bipolarité ?
I.